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19/12/2007

Voyage aux pays du coton

Bamako

À deux pas de la gare, une petite dame plus toute jeune règne sur un gros bunker blanc. Son visage ressemble à celui d’un oiseau, pointu, osseux, surmonté d’un casque de cheveux gris impeccablement séparés par une raie. Elle vous reçoit avec cette sorte de gentillesse automatique des bonnes maîtresses de maison, leur réel souci de bien accueillir le visiteur, quel qu’il soit. Ses gardes, nombreux et musculeux, ont des manières plus rudes.

La dame s’appelle Vicki Huddleston. C’est l’ambassadeur des États-Unis. D’une voix douce, elle dit sa conviction. Et l’on devine que rien, jamais, ne l’en fera changer.

Sa leçon de bon sens libéral est impeccable.

Il faut repartir sur des bases saines, dit-elle. Chacun doit faire son métier. Une société cotonnière a pour mission de produire de produire du coton, et du coton rentable, pas d’alphabétiser les populations, ni d’entretenir des routes, ni d’ouvrir des dispensaires.

Et un État a d’autres tâches que de combler les déficits d’une société beaucoup trop lourde et bien trop mal gérée.

Donc la privatisation s’impose.

Le FMI et la Banque mondiale le recommandent au Mali depuis des années. Ils ont prévu des financements pour accompagner la mesure.

Mais le Mali continue à repousser, repousser, repousser…

Mme Huddleston soupire. Cette lenteur, tellement contraire à l’intérêt du pays, semble l’atteindre personnellement. « J’ai beaucoup voyagé, depuis mon arrivée. Ce peuple m’a émue. J’aime le Mali. »

Je lui fais part de l’inquiétude des paysans. La CMDT leur apporte tant…

— Si l’État ne prend pas le relais, nous confierons la formation et la santé à des ONG. Je fais confiance à leur efficacité…

Pauvres Maliens ! N’ont-ils le choix qu’entre un kolkhoze dépassé et une privatisation sauvage accompagnée par les compresses de la charité ?

Vais-je me montrer impoli, gâcher soudain l’aménité de l’entretien ? Je quitte un instant le Mali. Je traverse l’Atlantique. J’évoque ces subventions gigantesques versées par l’administration de Washington aux producteurs de coton américains. Ne faussent-elles pas le libre jeu de la concurrence, ne vont-elle pas contre la loi du marché ? En un mot, les agriculteurs de Kaniko, qui réclament la fin de ces distorsions, ne sont-ils pas plus libéraux que leurs collègues du Texas ?

Vicki me sourit comme un enfant attardé ou décervelé par le soleil. Du même ton si doux, elle me conseille de ne pas tout mélanger.

— L’Afrique a la manie d’accuser les autres continents de ses propres problèmes au lieu de trouver par elle-même, en elle-même, des solutions. Pour votre enquête, vous allez vous rendre dans mon pays, j’imagine ? Si vous êtes honnête, vous y verrez une agriculture moderne. Bon voyage.

Erik Orsenna

 

 

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