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16/08/2007

L'amnésique

Je pris le boulevard de La Poste, longeai la place déserte, enfin presque : dans la voiture là-bas, un couple, mais rien d’autre autour. La nuit était tiède, une nuit de 15 Août sans histoire et moi j’avançais.

J’allais à la gare, avec en poche mon salaire de clandestine parait-il, autant vous dire, que sans papiers, ce bougre de patron m’avait donné le strict minimum à ce qu’on dit, j’avais de quoi payer un aller simple  pour l’Angleterre, et quelques sandwichs, et puis après, "j‘aurais vu."

J’enviais ces gens qui dormaient dans un bon lit, « mais bon sang, qu’avais-je fait pour mériter ça ? »

Quelque chose n’allait pas dans ce monde, qui dépassait les bornes de la cruauté envers certains. Une vie humaine  ne comptait donc pour rien si vous étiez sans protection sociale ?

Je me retournai, quelqu'un avait bougé dans les parages. Pas de bol : un type se ramenait par ici, qui ne dégageait pas de très bonnes choses. Il se dirigeait tout droit vers moi. Ma trouille était à la mesure de ma solitude. Le type me sourit et là, c’en fut trop. Je me mis à courir à toute vitesse, affolée par le sourire abominable que le bonhomme m‘avait adressé. Encore un de ces cannibales de la nuit qui, le jour, offre un visage de bon père de famille. Il avait flairé ma situation et n’hésiterait pas à me faire la peau avec l’absolution de la police et de toutes les bonnes âmes du coin, si je ne courais pas plus vite que ça. De cela, je ne doutais pas un instant, la nuit et ma situation le rendaient à son animalité ou la débridait.

Je fonçai vers la gare, je l’entendais courir derrière moi en grognant, "mais bon sang pourquoi ne rentrait-il pas chez lui, ce fauve de la nuit, retrouver sa petite famille ?" "Pourquoi ce genre de type n’avait-il d’état d’âme que devant un curé, un flic, un maître d’école mais jamais face à une femme seule la nuit qui semblait ne pas connaître la ville ?"

J’entendis un bruit de chute, forçai l’allure sans me retourner, une voiture de police se pointait.

Les policiers criaient dans ma direction, bientôt ils me rattraperaient, c’était foutu.

— Vos papiers ! grinça l'un d'eux.

— Pas de papiers, murmurai-je, presque soulagée.

C’est à ce moment là que je me rendis compte que j’avais tout oublié de mon identité. Un immense trou de mémoire qui me laissait sonnée. D’ailleurs comment s’appelait cette ville où je me trouvais ?

Qu’est-ce que j’étais venue foutre ici, et que me voulaient ces types, au juste, hormis des papiers ? Je criai comme quelqu'un avant la noyade, le policier déclara, au bout d’un moment, comme pour se rassurer :

— Vous êtes Rom ? Les vôtres vont vous reconnaître, chez eux on n’abandonne pas les gens comme ça.

— Qu’est-ce qu’on en fait si elle l‘est pas ? dit son collègue. Ils ont déjà assez d’emmerdes en ce moment avec nos consignes pour se charger de quelqu'un qui est pas des leurs.

— Elle a intérêt d’en être, ou de retrouver la mémoire pour foutre en justice les foutus cons qui l’ont mise dans ce pétrin, sinon c’est l’asile, elle fera un cobaye idéal pour la médecine, si elle a personne.

— Attends, elle est jeune, plutôt pas mal, elle peut pas être seule.

— Elle a intérêt de retrouver la mémoire vite fait, je te dis.

Alors, je revis le boulevard de La Poste, la place déserte, la voiture esseulée d’un couple d’amoureux, je me remémorai la tête d’un homme comme étant celle de mon patron, sans que le job me revienne en mémoire, ma course devant l’inconnu au sourire grimaçant, la tiédeur de la nuit, sa pénombre et son indifférence, le bruit d’une chute, le car de police et ce qui s‘ensuivit…et rien de plus. C’est là mon seul petit bagage de souvenirs, inquiétants, certes, mais pas trop nombreux et donc pas trop encombrants.

 

Je suis bien ici à l’hôpital. Personne n’a rien trouvé sur mon identité, mais on me dit que je suis très utile à la science, et pour l’instant, j’ai trois repas par jour. Sauf quand je dois être à jeun pour une prise de sang. Comme j’ai aussi perdu la notion du temps, avec ces jours tous pareils, je ne sais pas depuis quand ça dure et si j’ai eu une vie avant cette mort.

 

03:00 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Très bon récit ; très alerte et très utile.

Écrit par : Tantror | 16/08/2007

Les commentaires sont fermés.