25/07/2007
Dorian Gray
La vie est faite « de menus avatars » qui obligent parfois à ralentir le pas. L’avantage de ce contre-temps, dans le sens où il est devenu inutile de lutter contre, est la possibilité de flâner loin des champs de courses et de porter un peu plus d’attention à ce qui vous aurait paru tout à fait insignifiant auparavant : des livres, par exemple émergent inopinément dans le quotidien, comme celui d’Oscar Wilde intitulé « Le portrait de Dorian Gray », sur le point de tomber de l’étagère et qui m’est finalement resté entre les mains, le temps de lire la préface, des bribes du dossier historique (pas mal ces Pocket Classiques), et de resituer du même coup l’histoire du personnage : excessivement beau au goût de ses contemporains ; avait-il succombé à son propre charme de ce fait là ? Je ne sais pas, j’aurai probablement un début (tout au moins) de réponse en relisant ce bouquin, dans les deux sens du terme. Ce que je me promets de faire dès ce soir. Si le cœur vous en dit, lisez cet extrait du dossier historique, qui aborde le thème de l’éternelle jeunesse liée au pouvoir, plus que jamais d’actualité même si les arguments de dissuasion ont heureusement beaucoup changé :
Le rêve de l’éternelle jeunesse
Dans les contes de fée existe parfois, en ces pays lointains, une source magique qui, à l’instar de la fontaine de Jouvence, donne à ceux qui boivent son eau la jeunesse éternelle. Au héros (ou à l’héroïne) d’aller en quérir pour le roi despotique ou la méchante belle-mère. D’autres fictions incarnent ce même rêve.
Goethe a repris dans ses versions de Faust une légende populaire allemande. Le savant cède à la tentante proposition de Méphistophélès, l’esprit du mal : il échange son salut contre le bonheur matériel. Il ne sera sauvé in fine que par son constant désir d’idéal (il n’est pas enlisé dans les jouissances vulgaires) et par le pur amour que lui a porté Marguerite. Les pièces de Goethe ont à leur tour donné naissance à d’innombrables œuvres. Citons au cinéma, Faust de Murnau (1926), La beauté du diable de René Clair (1950) où le vieux savant retrouve la jeunesse sous les traits lumineux de Gérard Philippe, ou Marguerite et le diable d’Autant-Lara (1955). Maturin dans Melmoth, imagine en 1820 un héros faustien qui cherche en vain, tout au long du roman, à se dégager du contrat satanique qui assure sa domination et son immortalité mais le voue aussi à la damnation. Le roman, qui vise à inspirer l’horreur du péché et la méfiance envers les biens matériels, a connu un immense succès en Angleterre et en France où il est presque aussitôt traduit.
Balzac en reprend l’argument dans Melmoth réconcilié en 1835 ; il en modifie le dénouement mais son intention est tout autant morale.
Castanier conclut un pacte diabolique avec un mystérieux inconnu qui, en échange de son âme, lui confère l’immortalité et la toute-puissance sur les choses matérielles. « Sa forme intérieure avait éclaté. En un instant, son crâne s’était élargi, ses sens avaient grandi. Sa pensée embrassa le monde, il en vit les choses comme s’il eût été placé à une hauteur prodigieuse. » Il choisit alors de satisfaire tous ses désirs, il puise « à pleines mains dans le trésor des voluptés humaines dont la clef lui avait été remise par le Démon ».
Mais ces orgies, loin de lui procurer les jouissances attendues dans leur plénitude, lui font prendre conscience de la vanité des plaisirs. « Cette énorme puissance, en un instant appréhendée, fut en un instant exercée, jugée, usée. Ce qui était tout ne fut rien. » Et Castanier renoncera à ses pouvoirs magiques pour connaître le repentir et la mort du pêcheur.
Nous voilà prévenus ! À demain blogs-trotters
11:20 Publié dans Culture | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
On peut effectivement rapprocher ce thème de la jeunesse éternelle d'autres oeuvres, parfois très anciennes et dont l'origine s'est perdue.
Reste que l'intérêt comparatif est justement de faire ressortir la particularité de l'usage de ce thème, qu'on peut même à la limite étendre à une réalisation de l'orgueil.
Ce thème est en effet généralement associé à une condamnation morale, ou à la damnation (Faust, Don Juan, Prométhée...).
Sauf que du Don Juan de Tirso de Molina à celui de Molière, il y a un gouffre.
Et le portrait de Dorian Gray est tout fait de faux- semblants, qui reprennent l'argument moral comme la contrepartie logique et classique du thème orgueilleux, mais pervertissent cette condamnation, tout en laissant la fascination pour le personnage orgueilleux s'étaler de page en page.
Wilde n'est pas un dandy pour rien, et ce livre jaune que lit Dorian Gray n'est autre que le chef d'oeuvre décadent, "à rebours" de J.K. Huysmans.
Écrit par : fabien | 29/07/2007
Bonjour Sophie,
pas de problème pour l'interprétation, je passais rapidement.
Mais puisque vous renchérissez un peu, je voulais toutefois suggérer qu'un auteur n'évacue pas ses problèmes en écrivant un livre, bien qu'il le peuple parfois de ceux-ci, ce qui permet éventuellement une lecture psychanalytique, qui à mon sens rate généralement l'objet du livre, comme un nouvel avatar de la critique purement biographique.
Et je reste persuadé qu'une lecture attentive vous révèlera les motifs de subversion ou plutôt de perversion de la condamnation, si évidemment attendue par le lecteur et son habitude des textes. Je ne crois pas un seul instant qu'une quelconque morale judéo-chrétienne vienne obliger Wilde à punir son héros, mais que la punition fait bien partie du thème orgueilleux, et que l'humour de Wilde comme son habileté et sa finesse littéraire, son érudition aussi, font des séquences de la punition et du châtiment le moment fort d'une réapparition d'une opposition qui parcourt le livre aussi, des apparences et de l'essence.
Mais je peux me tromper, j'ai lu ce livre il y a plus de 4 ans. Ce sont les souvenirs de ma lecture que je vous expose. Je pense tout de même que pour mieux comprendre Wilde, Huysmans s'avère une lecture essentielle, mais aussi la peinture des préraphaélites, et pourquoi pas M. Schwob, ou Louÿs. Leurs jeux "décadents", leur talent de narrateur, sont sans cesse couplés, comme chez Wilde, à la subversion de thèmes littéraires, ou de personnages, de types, qu'ils maitrisent abondamment, leur érudition étant incomparable à la nôtre : la littérature grecque et latine est bien sûr maitrisée sur le bout des doigts, comme la partie alors connue de la littérature médiévale (Schwob est le premier a traduire les poèmes en argot de Villon, et à formuler l'hypothèse qu'il fut bien membre d'une congrégation de malandrins), et évidemment toute la littérature du 16e à la veille de leur livre leur est connue.
C'est pourquoi ces auteurs font souvent la joie des littéraires, leurs habiletés, précisions, jeux et connivences avec le lecteur partageant leurs références étant le plus souvent le lieu d'un humour acide sur la constitution du sens, et aussi, "fin de siècle" oblige, l'idée d'un épuisement de la littérature, comme à peine plus tard surgiront ces tableaux ultimes de Malévitch, mais sans l'ardeur révolutionnaire.
M. Schwob, et son écriture en palimpseste, est également une des principales sources d'inspiration de J.L. Borgès, autre auteur, plus contemporain, dont l'érudition littéraire comme le rapport ludique à l'univers des livres a fasciné plus d'un lecteur.
Un exemple:
La nouvelle, si je me rappelle bien (je l'ai lu il y a quelques années), "Les immortels", commence sur les bords de la méditerranéenne, à l'époque de la domination romaine, aux environs du 3e siècle selon l'onomastique (une encyclopédie est utile pour lire Borgès). Mais après quelques paragraphes, apparait un personnage étrange, un moine tibétain qui recherche le fleuve qui donne la vie immortelle (encore !).
Oui mais voilà, ce personnage n'est pas une invention de Borgès, qui a toujours revendiqué n'avoir rien inventé, mais un fait d'intertextualité, un personnage tiré du roman "Kim" de Kipling. Savoir que Borgès a été professeur de littérature anglaise est un plus pour connaître ses sources préférées.
Dans une autre nouvelle, apparaissent des personnages tirés des "Confessions d'un mangeur d'opium anglais" de Thomas De Quincey, plus connu en France par l'adaptation-traduction de Baudelaire, "les paradis articificiels".
Bref, simplement pour vous encourager à lire, lire et relire si vous souhaitez explorer la littérature, car on ne la comprend mieux (mais pas pour tous les auteurs, certains échappent ne privilégient pas du tout le jeu littéraire, notamment en poésie), qu'en la fréquentant assidument, et tirant les fils qui s'échappent d'un livre et conduisent à ses prédécesseurs et poursuivants. Ne jamais sous-estimer l'intelligence d'un auteur, ni sa maîtrise excellente d'une littérature de plusieurs milliers d'ouvrages.
Je m'excuse infiniment pour ce commentaire excessivement long, mais vous avez évoqué une littérature m'a fasciné un temps, alors que j'ai abandonné ces études pour d'autres, et que mes souvenirs ont afflué plus vite que je ne le pensais.
Bonne journée
Écrit par : fabien | 30/07/2007
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