26/09/2020
Martyrs du quotidien
J'aurais pu intituler cet extrait "supplice de la vie moderne". Où l'on s'aperçoit que l'on ne peut chanter qu'à l'air libre, et ici, naturellement, avec les gens coincés dans une rame de métro, l'auteur ne s'imagine pas chanter. À quoi va-t-il réussir à se connecter pour tenir le coup ?
Jamais je n'ai connu ce genre de souffrance dans le métro de Paris il y a vingt ans, que j'avais alors l'occasion de prendre assez souvent. Par contre dans les couloirs souterrains, il m'est arrivé d'avoir de la spasmophilie (malaise que j'avais à l'époque dans les grosses villes) et je me souviens avoir été soulagée sur-le-champ lors d'un de ces malaises, grâce à des musiciens jouant dans le métro. Ils étaient en habits traditionnels d'Amérique du sud, petits bonhommes aux cheveux longs et noirs de jais, qui jouaient de leurs flûtes spécifiques avec virtuosité. Ils vous emmenaient d'un coup virtuellement à l'air libre. Ils furent ce jour-là mes guérisseurs instantanés car d'un coup, décompression du thorax, respiration redevenue normale. Soulagement immédiat en somme.
Avec cet extrait, on est à l'intérieur d'un wagon d'une rame de métro, où les gens sont compressés. On sent le vécu, on comprend l'angoisse infligée à ceux qui doivent prendre le métro de nos jours.
En fait je viens de me souvenir que l'auteur parle dans l'extrait qui va suivre des années 1990. Londres était donc en avance dans l'horreur concernant le métro.
L'extrait :
"À ce moment-là, Dieu merci, les lumières revinrent, et un murmure de soulagement parcourut le wagon. Les hauts-parleurs se mirent à crachoter, et nous entendîmes la voix traînante d'un employé de métro nous expliquer, sans vraiment s'excuser pour le retard, que la rame connaissait "des difficultés techniques" qui seraient résolues aussi vite que possible. Ce n'était pas la plus satisfaisante des explications, mais du moins nous ne nous sentions plus irrémédiablement seuls et abandonnés, et tant que personne ne nous poussait à prier ensemble et à entonner des cantiques pour nous remonter le moral, je pouvais, me semblait-il, trouver encore quelques minutes de patience. Cependant, le type de l'inhalateur semblait aller de plus en plus mal. Je suis navré dit-il, alors que son souffle devenait de plus en plus court et haletant, je ne pense pas pouvoir tenir le coup bien longtemps, et son voisin se mit à bredouiller des choses rassurantes, mais je percevais la rancœur silencieuse des autres passagers, à l'idée d'être bientôt confrontés à un évanouissement ou à une attaque. En même temps, je percevais quelque chose d'autre, quelque chose de très différent : une forte et écœurante senteur de viande qui commençait à recouvrir les relents de sueur et autres odeurs corporelles. Sa source devint vite évidente lorsque l'homme d'affaires dégingandé ouvrit sa mallette pour en sortir un paquet portant l'emblème d'une célèbre chaîne de fast-food. Je le regardai avec stupeur en pensant : Non, il ne va pas faire ça, il ne peut pas vouloir faire ça ; mais si, avec un vague grognement d'excuse : "Ça risque de refroidir", il ouvrit toutes grandes ses mâchoires, engloutit une énorme bouchée de cheese burger gluant et tiède, se mit à la mastiquer avidement, avec des claquements humides de poisson sur l'étal, et des filets de mayonnaise aux coins des lèvres. Il n'était pas question de pouvoir détourner les yeux ou me boucher les oreilles : j'étais contraint de voir chaque brin de salade et chaque tendon de viande se prendre entre ses dents, d'entendre le mélange visqueux de fromage et de pain mâchouillé se coller à son palais et être délogé par sa langue fouineuse. Puis les choses se firent brumeuses, le wagon s'assombrit, le sol se déroba sous mes pieds, j'entendis quelqu'un dire : Pauvre type, ce n'est pas étonnant, avec l'asthme qu'il a, et puis plus rien, aucun souvenir de ce qui s'est passé ensuite, du noir et du vide durant je ne sais combien de temps.
*
[...]
Apparemment, le métro s'était remis en route deux ou trois minutes après mon évanouissement, puis l'homme d'affaires, l'asthmatique et la femme au chandail de laine m'avaient tous trois emmené dans la salle des urgences de la station Victoria, où je m'étais lentement remis en m'étendant et en prenant une tasse de thé fort."
Pages 143, 144 Testament à l'anglaise Jonathan Coe.
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25/09/2020
quelle aventure la vie !
Les mini bibliothèques parsemées à droite à gauche dans les villes, présentant des vieux livres qui semblent relégués mais dont certains recèlent beaucoup de savoir, ces mini bibliothèques, avec leur vitrine qui s'ouvre, vous proposant la découverte, font partie du voyage, de l'aventure qu'est la vie. Elles sont des consignes pour bagages que d'aucuns veulent oublier et d'autres partager, "à vous de voir".
Tour d'horizon sur ce que j'ai entraperçu à la télé. Je surprends une conversation entre invités :
— Était-elle féministe ? demande la journaliste.
Son interlocutrice répond quelque chose qui ressemble à "pas vraiment car elle était trop glamour, elle ressemblait trop à une poupée gracile".
Commentaire : y a-t-il dans cette présentation de la beauté un message subliminal ?
Plus tard j'ai regardé le film sur le gendarme qui n'aimait pas les femmes.
Commentaire : était-il un homosexuel refoulé ? L'acteur, Guillaume Canet, joue avec justesse à mes yeux. En voilà un qui ne cherche pas à être beau lorsqu'il joue mais à creuser sur les tourments et la laideur d'un homme très perturbé, au plus vrai. Le gendarme se disait guerrier tout en s'attaquant à des personnes sans défense, qui lui offraient leur confiance. Laideur absolue donc, que l'acteur traque. Il fait son job.
Dans la même journée j'ai poursuivi ma lecture de Testament à l'anglaise où Coe s'amuse à déglinguer l'égoïsme forcené des classes dominantes. Une entreprise courageuse qu'il mène avec humour ; l'œuvre est élaborée, les faits sociétaux vus avec le recul de l'analyse. Mais je suis loin d'avoir fini la lecture du livre. Je n'en suis qu'à la page 130 et quelque.
J'ai aussi écouté le débat sur, en gros, "la gouvernance par les nombres". Une analyse de ce qui se passe ces temps-ci. Le podcast :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/...
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23/09/2020
Testament à l'anglaise de Jonathan Coe ♣♣♣ L'enthousiasme suspect
Là encore j'ai trouvé ce trésor de livre dans la boîte aux livres d'un quartier du centre ville de Béthune. Il déniaise les naïfs ou met au courant tout simplement "ceux qui ne savaient pas". Ou qui n'imaginaient pas que cela pût réellement fonctionner ainsi, il fut un temps.
Espérons que Demain sera un autre jour, et que les investissements bancaires seront humanistes et également bons pour la planète.
Ce ne fut pas toujours le cas, ce n'est peut-être pas encore le cas, mais Demain... qui sait ?
Jonathan Coe parle d'investissements douteux, il y a peu encore dans son livre Testament à l'anglaise.
Extrait page 28, 29 :
"Voici d'abord Thomas Winshaw : trente-cinq ans, célibataire, ayant encore à se justifier auprès de sa mère Olivia, aux yeux de qui ses brillants succès dans le monde de la finance ne comptent pour rien devant son échec persistant à fonder une famille. Elle l'écoute à présent les lèvres pincées, alors qu'il essaie de donner un éclat flatteur à un nouveau développement de sa carrière, qu'elle considère visiblement comme plus frivole encore que les autres.
"On peut obtenir aujourd'hui un très haut rendement d'un investissement dans les films, maman. Il suffit d'être associé à un grand succès, voyez-vous, et on se retrouve avec une vraie fortune. Assez pour compenser une douzaine d'échecs.
— Si tu ne faisais cela que pour l'argent, tu aurais ma bénédiction, tu le sais bien", réplique Olivia. Son accent du Yorkshire est plus marqué que celui de ses frères et sœurs, mais sa bouche est aussi tombante et rigide que la leur. "Dieu sait que tu t'es montré assez malin en ce domaine. Mais Henry m'a dit quels étaient tes vrais motifs. Les actrices. C'est ce que tu cherches, n'essaie pas de le nier. Tu aimes être en position de leur déclarer que tu peux leur trouver un rôle.
— Vous dites n'importe quoi, maman. Si seulement vous vous entendiez parler !
— Je ne veux pas qu'un membre de notre famille se couvre de ridicule, c'est tout. Ce sont presque toutes des traînées, et tu vas finir par attraper une saleté."
Mais Thomas, qui n'éprouve pour sa mère rien de plus ni de moins que pour la plupart des gens — à savoir un tel mépris qu'il les juge rarement dignes d'une dispute —, se contente de sourire. Quelque chose dans ces dernières paroles semble l'amuser, et ses yeux brillent froidement d'un souvenir intime. En fait, il pense que sa mère est tout à fait à côté de la plaque : car son intérêt pour les jeunes actrices, si fort soit-il, ne va pas jusqu'au contact physique. Il s'intéresse surtout à regarder, pas à toucher, et pour lui le principal avantage de sa nouvelle activité dans l'industrie du film est de lui donner un prétexte pour visiter les studios quand il en a envie. Il peut ainsi assister au tournage de scènes qui, à l'écran, offrent simplement un émoustillement innocent, mais qui, lors de leur élaboration, fournissent de sérieuses occasions au parfait voyeur."
Commentaire : Ici on a essentiellement un aperçu du machisme dans le milieu du cinéma. Mais je crois que les choses s'améliorent, les femmes défendant de mieux en mieux leur condition, leur droit au respect.
Cela dit, un dessinateur ou un peintre ou encore un sculpteur, tous ces artistes pouvant se mettre au féminin, passent par la case voyeurs et voyeuses, sauf que cette démarche est consentie par les modèles. Les dessinateurs imaginent parfois, sans modèles précis, pour réaliser des dessins érotiques. Ils en ont le droit. Mais l'actrice, sauf dans le porno, ne consent pas, quant à elle. Elle est souvent chosifiée, prise en étau et donc il y a perversion à vouloir la voir dans des situations qu'elle refuse de montrer, de la part de ce genre de voyeur.
♣♣♣
Écoute de la télé durant la pause café : j'entends les éloges sur la 5G. Finalité de la 5G : aller plus vite, être toujours plus réactif, avoir plus de captations de données (une sorte de voyeurisme) ; les médecins vont opérer le ou la patiente à 3000 km de distance, étrange... comme un monde d'absents où les gens ne vont plus se toucher que par machines interposées ; sans oublier les voitures téléguidées... sans conducteur : absent lui aussi, ex conducteur réduit à la passivité ; Les intelligences artificielles nous permettront de nous passer de nos propres cerveaux ; espérons un autre jour, un Demain pour la sagesse. Les éloges de la lenteur ne sont pas encore d'actualité dans les médias.
23:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)