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22/10/2009

Garfield

Une nouvelle humoristique que j'ai écrite à propos du chat Garfield :

Un soir, nous étions fin octobre et je décidai de quitter le geyser, cette belle plante à côté de laquelle j'aimais passer la nuit, les luminescentes petites fleurs blanches me rassurant fortement, car j'étais d'un naturel assez peureux à l'époque. Halloween approchant, et mon rival Yoko me surveillant d'un oeil ironique, je me fis donc violence en ce début de veillée, et m'éloignai de mon Doudou, ma bien-nommée Geyser. Sans moi, celle qui m'était restée fidèle compagne depuis le printemps où elle avait fait irruption sur notre territoire, avait l'air bien esseulée ... mais l'heure de l'émancipation avait sonné pour le jeune chat que j'étais alors, qui s'était mis à rêver de remonter les bretelles à ce pingre de Yoko. En effet celui-ci n'avait pas encore réussi à se séparer définitivement de son ridicule papillon en papier de pacotille sur lequel il veillait stupidement et de façon très possessive durant la nuit avant de l'abandonner, au chant du coq, pour rejoindre ses coussins moelleux. Ce précieux animal avait besoin d'une petite démonstration de mon indépendance (je n'allai certes pas tarder à l'acquérir) et par là-même de ma supériorité. Oui, il allait voir, ce pleutre, de quel bois se chauffe un chat qui se respecte et peut-être serait-il plus enclin par la suite à partager sa gamelle.

Je me dirigeai vers la droite, d’un pas encore hésitant afin de saluer Cornus alba avant de me lancer dans l’aventure ; le savant botaniste qu’était mon maître l’avait surnommé « Cinq à sept », subtile façon croyait-il de se jouer du visiteur ignorant par ce genre de petit sobriquet allusif et de se remémorer le temps de croissance de cet arbuste m’avait-il confié un jour, avec ce sourire rusé qui le caractérisait dès qu’il se retrouvait parmi nous, « dans sa petite jungle » disait-il parfois avec l’attendrissement béat que donne la fierté paternelle. En ce moment, le bruit sourd des informations du journal télé me parvenait à travers la vitre, avec son lot de vibrations négatives ; mes oreilles se mirent soudain à tourner en tous sens et retrouvèrent enfin un semblant de stabilité tandis que je l’imaginais derrière le rideau, assis dans le canapé face au téléviseur, avec une tête lugubre de circonstance. À cette heure, il me croyait sûrement docilement tapi sous mon Geyser, et Yoko immuablement posté près de son papillon fétiche. En ce qui le concerne, il n’avait hélas pas tort.
J’étais donc parti délibérément sous l’œil incisif de mon rival et allai d’abord me planter devant Cinq à sept. Aussi incandescent que les plumes du paon, son ample feuillage flamboyant me fascinait. « Cinq à sept, je vais affronter ce soir le gnome intrépide » lui déclarai-je tout de go. Quelques feuilles frissonnèrent, comme s’il voulait lancer au vent quelques flammèches. « Je te raconterai ce qui adviendra d’une telle rencontre Cinq à sept, et te donnerai des nouvelles du laurier par la même occasion. Je ne te demande pas ta bénédiction, tu es pour moi un porte-bonheur aussi puissant qu’un trèfle à quatre feuilles. » L’arbuste agita quelques rameaux dans le but évident d’exprimer son contentement. Enhardi je continuai : « Ne t'inquiète pas trop. En fait je dois juste m’assurer de l’identité réelle du gnome. Il se trouve là-bas, à la frontière de notre territoire. Et s’il n’était qu’une sorte de totem après tout ? Si oui, je dois quand même m'assurer de sa bienveillance à notre encontre. Vois-tu mon ami, je m’assigne comme mission de trouver les réponses à ces pénibles interrogations afin d’affranchir mon ami Yoko de la peur qu’il éprouve à la vue de ce qu’il croit être un épouvantail à chats ». C’est alors que j’entendis pouffer. Nulle raison de mettre en doute Cinq à sept qui s’était toujours montré loyal à mon égard. M’approchant un peu je distinguai à travers le corps buissonnant de mon ami, la terrible Gribouille qui se gaussait hardiment de mon courage. Derrière l’affreux grillage, à la lisière de son pays, presque inconnu de nous tous en raison de l’âpre caractère de la douanière, Gribouille nous épiait. Yoko dut la voir à son tour car sa queue se mit à gonfler de dépit. Ces temps-ci elle était le seul être capable de le faire sortir de ses gonds à pareille heure et bondir comme en plein jour lorsqu’il s’adonnait à la chasse aux papillons. Cinq à sept se mit à frissonner, se souvenant de la triste journée où Yoko et Gribouille avaient livré bataille au beau milieu de ses tendres rameaux ; il avait eu beaucoup de mal à s'en remettre. Allons bon ! Cette aventure commençait sous d’étranges auspices !


Je levai la tête vers le toit aux tuiles noires de la maison, n’était-ce pas le persifflage de Tigret que je venais d’entendre, venant de là-haut ? Pour mon premier face à face avec le gnome, j’étais comblé! Surtout ne pas se laisser décourager par la malveillance évidente de ces affreux congénères. J’avançai droit vers l’entité surnaturelle que représentait pour nous la statue rabougrie dont je n’avais jusqu’ici aperçu que la vague silhouette inquiétante, l’ayant toujours soigneusement contournée. La peur soudaine qu’avait éprouvée Yoko à l’endroit de ce personnage ayant par un effet ricochet en quelque sorte, rendu le chaton que j’étais alors assez craintif.
J'avançais, mes congénères sans doute très impressionnés se tenaient cois ; peut-être même, au spectacle de ma force de caractère s'étaient-ils figés comme des statues de sel. Enfin arrivé près de la butte j'osai lever la tête pour regarder effrontément la statue. Ce que je vis sous le ciel sans lune dépasse l’entendement. Je tressautai. Le sourire hilare peint sur son visage vernissé me fit douter plus encore des bonnes intentions de son créateur. Je m’assis prenant la posture téméraire de Yoko lorsqu’il garde son papillon et fouillai ma mémoire. J’avais besoin de retrouver mes esprits. Je me souvins alors nettement du jour où mon maître avait ramené le gnome à la maison et l'avait sorti avec enthousiasme de sa boîte puis était allé l’exposer à la vue de tous sans se départir d’un petit air malicieux. Mes congénères et moi fîmes l’impasse sur cet épisode comme pour chasser de notre esprit la gêne que nous procurait cette chose grimaçante. Elle allait pourtant trouver sa place aux côtés du laurier. « Drôles d’épousailles  » me dis-je en risquant un œil vers ce qui était peut-être un totem ou une chose habitée d’un esprit maléfique. Yoko n’était-il pas devenu bougon par la suite, et c’était sûrement à cette époque qu’il s’était tourné vers les papillons ; étrange humeur qui n’avait cessé de m’inquiéter depuis. Mais au souvenir de l’arrivée chez nous de la chose, je me demandai ensuite pourquoi elle avait trouvé acheteur en la personne honorable de mon maître.
Je l’entendis dans une sorte d’écho de la mémoire parler de prototype fabriqué à des centaines d’exemplaires en ce qui concernait ce qu‘il prétendait être un objet décoratif. Mais si tel était le cas pourquoi l’objet en question avait-il pris d’emblée cette aura de mystère?
La statue représente un gnome portant un bonnet rouge, en tunique bleue et pantalon crème. Son nez protubérant semble vouloir indiquer un amour certain des bonnes choses. Il a l’air d’un gros champignon dont le chapeau se serait gondolé. J’en étais là de mes timides considérations quand le laurier se manifesta :
« Tu trembles à la vue de mon totem dirait-on ! »
L’étonnement me fis oublier ma peur un instant, j’étais ravi de l’entendre et lui déclarai
— Vous ne vous exprimez pas par sous-entendus comme votre ami le Cornus alba … Ainsi cette chose est donc bien un totem ? 
— Pour moi oui parce qu’il est chargé des bonnes intentions de ton maître à mon égard, ce qui me réchauffe la sève.
— Il a ses têtes alors ! Il nous fait froid dans le dos, à moi et mes frères.
— Ah ? souffla le laurier sincèrement désolé, peut-être le prenez-vous pour un gnome alors ?
— Le bonnet rouge, cette expression euh… goguenarde. Il y avait de quoi se tromper !
— Sauf que les vrais gnomes sont sans cesse en mouvement et pas méchants envers les hommes et les plantes en général. Mais envers les chats peut-être bien parfois peuvent-ils l’être. De toute façon, ce qui est totem pour moi et simple élément décoratif pour ton maître, est tout à fait inoffensif.
— Mais pourquoi avez-vous décidé d’en faire votre totem ? M’exclamai-je dans un élan de confiance.
— Oui bon, c’est un bien grand mot je le concède. Au fait comment va Geyser, ta Doudou ?
— J’ai dû m’en affranchir pour affronter le …
— Si t’affranchir de ta peur consiste à bousculer ma chaufferette, vas-y !

Un grand silence se fit. Le laurier n’avait plus rien à ajouter. Confiant j’allai uriner tout contre lui et son petit radiateur. Notre amitié était scellée.
C’est ainsi que je fis mes premiers pas vers l’âge adulte et devins un matou respectable.

 

04/09/2009

La maison de retraite

Voyant les arbres de plus en plus secoués, le vieil homme éteignit la radio. Il lui suffisait d’écouter le vent pour entendre la mer ; il lui faisait écho, apportant le mugissement des vagues, encore bien audible derrière la vitre où il se tenait assis. Des oiseaux se mirent de la partie. Début septembre : ils avaient encore de beaux jours devant eux. Albert se sentit en vie lui aussi. La pluie se mit à tambouriner sur les carreaux, elle était cinglante. Il se revit courir vers le préau de la cour de récréation parmi une ribambelle d’enfants de son âge. Quelques visages enfantins défilèrent dans sa mémoire, un souvenir s’imposa, plus précis : un copain avait trébuché dans une flaque d’eau, se relevant péniblement, il s’était mis ensuite à boiter fortement avec forces grimaces tandis que l’institutrice le soutenait sous une pluie battante, l’accompagnant à l’infirmerie. Le préau était alors devenu une petite tribune où pas mal d’entre eux avaient ri de l’infortuné. "Et s’il allait rester éclopé jusqu’aux vacances ?" s’étaient demandés certains. Était-il de la bande de moqueurs ? Il n’aurait su le dire ; sa mémoire fit l’impasse là-dessus. Une passante traînant un caddy bleu le ramena au présent. L’averse s’était déjà arrêtée. Elle le regardait, l’air quelque peu interrogateur, en ralentissant le pas. Il espéra ne pas s’être laissé aller à rire bêtement à la fenêtre et fut vite rassuré. Il lui sembla déceler une sorte de sentiment, de regret fugace dans ce visage un peu morne. Il en conclut qu’il n’était ni repoussant, ni attractif comme une curiosité de foire. Dommage qu’il y ait si peu de passants dans le secteur mais c’était quand même une chance que sa chambre donnât sur cette rue. Il avait pu la voir un bref instant en train de le dévisager, et cela l’avait finalement un peu réconforté. Même si, à la réflexion, il n’y avait pas lieu de se satisfaire de cet état de choses : lui, dans sa maison de retraite à cause de ses jambes qui n’allaient plus, ne pouvait faire le moindre petit brin de conversation avec quiconque passant dans cette rue ; la fenêtre ne s’ouvrait que par le vasistas inaccessible qui jouxtait le plafond. Il en résultait que cette femme et lui étaient dans des mondes parallèles.

Une voix glaciale arrêta net le cours de ses pensées :

— Encore ce nunuche qui baguenaude à la fenêtre ! Allez pépé, le repas va être servi ! Elle est pas belle la vie ?

Une fois passée la petite friction et l’employée partie, il fit le point de la situation : ici chaque membre du personnel se réduisait de lui-même à son statut ou jouait ce qu’il croyait être son rôle, mais dans "sa" rue les passants recelaient une histoire. D’ailleurs avait-il jamais vu un membre du personnel y flâner ? Non. Après le travail, ils se précipitaient tous vers le parking afin de récupérer leur voiture et quitter au plus vite cet endroit, pressés de tirer le rideau. Il n’avait jamais vu l’un d’eux faire le moindre détour dans cette rue, ne serait-ce que pour une petite emplette. Ne parlons pas des rendez-vous galants. Albert soupira. De toute évidence, ce secteur était pour eux un lieu infréquentable en dehors des heures de service. À la vérité, ce monde où il se trouvait prisonnier était cruellement impersonnel. Albert eut envie de courir vers la passante au caddy bleu. Elle devait être en train de terminer ses achats au magasin du coin, l’ayant déjà complètement oublié. –Oublié –, cette supposition l’attrista. Ah, si ses vieilles jambes avaient été valides, il l’aurait rattrapée, et lui aurait dit ce genre de choses : "On se connaît ma fille, non ?"

Un oiseau criard le ramena à la réalité. Il décida de sauter un repas. L’imprévu venait décidément du dehors et le revigorait. La passante, en le regardant avec insistance avait fait vibrer la corde humanité plus profondément en lui. Sûrement était-elle la fille d’une connaissance. Il lui semblait avoir déjà vu ces traits de visage, cette figure lui rappelait en fait une fiancée qu’il avait eue autrefois. Il avait fallu rompre pour il ne savait plus quelle raison. Albert décida que ce soir, il se baladerait en fauteuil roulant dans le quartier, il avait besoin d’exercice.

Pour tout un tas de prétextes on ne lui donnerait pas l’autorisation de sortir, mais cela valait la peine d’essayer : ici tout était réglé comme du papier à musique, de l’autre côté du mur, il existait.

Pendant que les femmes de service s’occupaient des plateaux repas, elles ne s’inquiétaient pas encore de son absence. Il emprunta l’ascenseur, descendit au rez-de-chaussée et parvint jusqu’au hall. La rue était à deux pas, mais la grande porte vitrée était implacablement fermée. Dehors, sur le trottoir d’en face,  marchant lentement, la femme au caddy bleu retournait chez elle. Elle leva la tête vers sa fenêtre puis l’aperçut en bas ; il lui  faisait de grands signes.

Les gestes insensés du vieil homme la firent réagir. Sans hésitation, elle traversa la rue  et vint sonner avec insistance à la porte de la maison de retraite en s’efforçant de le rassurer par un sourire. Un homme en blanc finit par lui ouvrir la porte en maugréant :

— Qu’est-ce que vous voulez ? Ce n’est pas l’heure des visites !

— Ce monsieur semble un peu en détresse. Il faisait des signes à la fenêtre tout à l’heure, et maintenant de nouveau …

L’homme se retourna et considéra Albert, tassé dans son fauteuil, soudain vidé de toute énergie.

— Ah ! ce monsieur ! dit-il. C’est normal, il est toujours comme ça. Il ne faut pas faire attention à lui.

— Désolée pour le dérangement, dit la femme qui s’en alla en détournant le regard.

Albert se laissa reconduire à sa chambre. Il lui restait le vent, la mer, la fenêtre des souvenirs.

25/08/2009

Tumulte intérieur

D’abord un marécage qui la submerge. Comme dirait l’autre, c’est idiot. Se laisser submerger comme ça. En tout cas, ça n’avait rien de grave pour les gens du parc assis comme elle sur un banc public ou surveillant debout leurs enfants, près d’un manège. Le marécage intérieur avait beau grouiller de partout en elle, eux n’y voyaient que du feu. C’était une jeune femme assise là, l’air un peu bloquée, c’est tout ; son enfant gigotant à côté d’elle.

"Un peu timide peut-être" avaient supposé quelques-uns ; "laissons-la tranquille". En effet, à la voir ainsi, on ne l’aurait pas cru prise dans les mailles d’un passé en train de se resserrer sur elle. Ils étaient revenus les monstres encore si bien tapis dans l’ombre l’instant d’avant, et ils l’entouraient au nez et à la barbe de tout le monde.

"Tu te souviens enfin de nous, il t’en aura fallu du temps ! clamèrent-ils en chœur."

Puis, une grenouille observatrice parla en solo :

"Certains assimilent le silence au vide ! S’ils pouvaient nous entendre !"

"Passons aux choses sérieuses, dit l’une de ses amies, nous voulions te dire de revenir et de rester pour toujours avec nous au marécage."

Tout ce petit monde se mit à rire. La jeune femme se leva du banc, se débattant intérieurement comme un beau diable. Elle salua les gens du parc qui lui répondirent chaleureusement "au plaisir !", et les fantômes se mirent à tournoyer autour d’elle comme des chauves-souris. Ils devenaient pénibles, plus arrogants encore :

"Tu devrais avoir honte ! N’essaie pas de nous échapper ! Punissons-là, cette effrontée ! Nous allons l’accompagner pour le châtiment, l’enfant devra payer aussi."

La jeune femme transpirait, un peu rouge, mais marchait stoïquement vers son immeuble. Comment tous ces voisins insouciants ne se doutaient-ils de rien, avec tout le boucan que  ces monstres faisaient autour d’elle ?

Elle daigna enfin implorer pitié.

— Je vous écouterai dorénavant. Vous avez certainement beaucoup de choses à m’apprendre ! Pardon de vous avoir si longtemps ignorés.

On pouffa à ses oreilles. Elle rentra enfin chez elle, ne ferma pas la porte à clef et ce fut l’assaut final.

 

Quand on les retrouva, la mère et l’enfant, morts, étendus sur le canapé, il y avait des traces de combat dans tout l’appartement. Tous deux s’étaient bien défendus. Chaises renversées, meubles de guingois, télévision fracassée, vêtements déchirés, mais pas de trace de viol. On se demanda comment les agresseurs avaient pu passer inaperçu vu le voisinage toujours attentif.

 

— Un vrai tsunami cet appart ! avait dit un voisin.

 

Une vague venant de très loin s’était en effet abattue sur eux. Mais pourquoi eux ? Ces deux anges-là justement ?

 

— Faut-il que le destin soit injuste ! soupira encore une voisine compatissante.

 

On se fit une raison ; bientôt on commença à les oublier. Ils appartenaient déjà au passé.