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24/04/2012

"Trop tard" dit-elle

Où est passée cette femme à la figure un peu violacée à force de boire, cette femme à qui elle avait proposé un kilo de pommes et du pain et qui lui avait répondu que ça faisait longtemps qu’elle ne mangeait plus de fruits et qu’il était trop tard pour s’y remettre, qu’elle avait juste besoin d’un canon. — Au moins vous, lui avait répondu la grosse dame, vous n’avez pas de problème de surpoids.

— Non, avait-elle répondu l’air chagrin et indifférent,  si vous pouvez me donner un ou deux euros, ça ira. »

L’autre avait rangé ses pommes dans le coffre de sa voiture, et cherché ensuite dans son porte-monnaie, comme à regret, les euros demandés. L’unique moment où elle voyait des gens était celui des courses mais pas moyen de rencontrer quelqu’un de réceptif, chacun était dans sa bulle, à lutter contre la crise cardiaque du trop plein pour les consommateurs habitués des lieux, ou le malaise fatal dû aux carences alimentaires concernant les clochards qui traînaient dans le coin. Aujourd’hui elle constatait que cette femme au jean déchiré par l’usure, à force d’être porté de jour et de nuit par la rôdeuse, elle ne l’avait pas vu depuis un certain temps. Pas besoin d’être devin pour imaginer ce qui lui était probablement arrivé. Elle avait succombé à une cuite, son corps à la fois menu et bouffi avait peut-être été repéré au petit matin par les éboueurs et emporté ensuite en catimini à la morgue la plus proche, où l’on avait décidé — peut-être — dans le cynisme ambiant, qu’il servirait enfin à quelque chose comme faire avancer la science si tant est que la chose restât exploitable encore. Elle aurait aimé la voir apparaître cette femme à l’air bougon, qui aurait pu être jolie, lui dire qu’un sourire sincère fait de n’importe qui une personne, quelqu’un. Ces petits riens qui donnent des petits coups d’aiguille aux bulles et aux choses, il aurait fallu les sentir. On aurait pu s’asseoir ensemble un moment, et faire silence, laisser passer les anges.