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23/07/2020

Les âmes grises

À relire, pour l'écriture de Philippe Claudel Les âmes grises. Le roman gravite autour de l'assassinat d'une fillette. Les hommes et les femmes défilent aussi au gré de faits qui reviennent à l'esprit du narrateur, des êtres s'agrègent à d'autres de fil en aiguille, et le narrateur qui se confesse à sa femme décédée depuis longtemps brosse ainsi des portraits "d'hommes et de femmes de peu", êtres poignants que les édiles et autres puissants écrasent, qui n'osent se rebiffer contre eux, au point pour un gendarme de laisser martyriser sous ses yeux un jeune breton, peut-être criminel martyr ou peut-être pas. Crime d'un pervers sadique ou crime d'un martyr ? Le narrateur aimerait croire en la culpabilité du procureur. Ce procureur, bien que réclamant des têtes à tour de bras, laisse les gens qui l'entourent, pantois de respect face à sa solitude glacée, comme si ce procureur vivait suspendu tel un animal crocheté par la vie dans un frigidaire, attendant d'être bouffé tout cru par elle. Il a l'air de la traverser comme un purgatoire, long tunnel, avec une petite lumière au bout, sa femme, décédée trop tôt mais consolation : qui n'a pas connu la laideur. Car pour ce procureur qui s'absente parfois du réel, ne reconnaît plus le visage de l'homme dont il vient d'obtenir la tête,  c'était comme si pour lui, la vie vous encrassait les âmes et rendait laids les gens à force de compromissions. Même le condamné à mort semble avoir pitié du procureur qui suinte le martyr.

 

Le narrateur confessera son inaptitude à aimer l'enfant qu'il a eu avec sa bienaimée Clémence. Devenant à son tour une âme grise tirant sur un noir non lumineux mais plutôt très négatif. Il devient moche en effet, ce père biologique, comme  à force d'en avoir trop vu, d'avoir trop enduré. Son regard sur le bébé est-il celui du juge Mierck sur le petit breton ? "Mais quel con" me suis-je exclamée quand il passe à l'acte.

 

J'en voulais sur le coup à l'auteur. Mais non. Je me suis ravisée depuis. L'auteur  a donné de lui-même pour écrire un tel livre, se mettre dans la peau des petits (socialement parlant), qui finissent par ne plus s'aimer en fait, voire se dégoûter à force de céder au regard que les puissants de ce monde posent sur eux. 

 

Le narrateur, qui se confesse à sa femme, la trahit à force de focaliser sur elle trop de choses. Même l'amour des âmes grises peut rendre monstrueux.

 

Les âmes grises est un livre écrit dans un style qui fait parler les gens comme ils sont. Souvent dépassés, accablés, écrasés, hors d'eux-mêmes. Comme je désirais que le gendarme ose se rebiffer ! qu'il libère le "petit breton" et flingue ses tortionnaires. Mais non, le gendarme s'est fait complice par lâcheté et les a subis, le juge et l'autre bourreau, et sa tête, à ce malheureux gendarme,  a blanchi en une nuit.           

05:14 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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