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05/05/2020

Très brève histoire du Gratte-Ciel , page 207 dans le roman Le chant des pistes

 

"Très brève histoire du Gratte-Ciel :

Chacun sait que la tour de Babel fut conçue pour attaquer le Paradis. Si les responsables de la construction étaient une poignée, la main-d'œuvre, elle, était innombrable et, pour éviter que les ordres ne soient mal interprétés, on exigea que tous les ouvriers utilisent la même langue.

 

Peu à peu, au fur et à mesure que les assises maçonnées se succédaient, les plus hautes autorités craignirent que le concept d'une guerre contre le Paradis n'ait perdu toute signification ou, pire encore, que Dieu dans Son Paradis n'existât pas. Lors d'une  réunion extraordinaire du Comité central, il fut décidé de lancer une sonde dans le ciel. Des salves de fusées furent donc lancées verticalement et, lorsque celles-ci retombèrent sur terre, toutes ensanglantées, elles apportèrent la preuve que Dieu, après tout, était mortel et que le travail dans la tour devait se poursuivre.

 

Dieu, quant à lui, fut indigné d'avoir été piqué au postérieur. Un matin, d'un souffle dédaigneux, Il fit chanceler le bras d'un maçon travaillant sur un des échafaudages les plus élevés, qui fit tomber une brique sur la tête d'un collègue en contrebas. C'était un accident. Tout le monde savait qu'il s'agissait d'un simple accident, mais le maçon du bas se mit à proférer des menaces et des insultes. Ses camarades tentèrent de le calmer, en vain. Tous choisirent alors leur camp dans la querelle sans savoir quel était l'enjeu. Chacun, dans sa juste colère, refusa d'écouter ce que disait le voisin et utilisa son propre langage pour entretenir cette confusion. Le Comité central était débordé et les équipes de travailleurs, chacune d'elles parlant un langage différent, cherchèrent à se protéger les uns des autres en se réfugiant dans les régions les plus reculées de la Terre."

 

D'après Flavius Josèphe, les Antiquités judaïques (1,4)

 

Commentaire : chacun parlant son langage se parle entre soi. L'entre soi  chez les hommes, "chacun din sin coin", les vaches sont bien gardées, et pendant ce temps, Dieu est occupé à panser les blessures que lui ont infligées des hommes à la curiosité malsaine. C'est en allant à Cayeux l'été passé, où se trouve une plage de galets arrondis par les caresses répétées des vagues, que j'ai trouvé ce livre dans une boîte à livres ; il sent toujours "le rance" entre ses pages, odeur aigrelette, indiquant qu'il a été longtemps confiné dans un grenier au fin fond d'un carton, échappant de justesse à la moisissure. Or ce livre recèle moult trésors. Il s'intitule donc Le chant des pistes, et l'auteur est Bruce Chatwin. J'ai beau l'aérer, l'odeur de renfermé persiste. Entre chaque page il me faudra mettre du papier d'Arménie... ce sera un livre embaumé mais toujours vivant grâce à Dieu...

Un langage universel, pour tous, qui dit bien les larmes de Hugo pour sa fille par exemple :

 

 

Et puis Satie "marchant dans les airs" :

 

 

 

 

 

Les larmes de Victor

Extrait de l'article sur Hérodote, racontant la noyade de la fille de Victor Hugo sur une boucle de la Seine. Le livre les Contemplations parle du spleen, du chagrin du père après la mort de sa fille. L'extrait d'Hérodote :

 

"Le poète découvre le sort tragique de sa fille préférée à son arrivée à Rochefort, le 9 septembre 1843, en lisant dans Le Siècle le récit du drame par le journaliste Alphonse Karr. « On m'apporte de la bière et un journal, Le Siècle. J'ai lu. C'est ainsi que j'ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte » écrira-t-il plus tard.

Ce drame va bouleverser la vie de Victor Hugo, chef de file de l'école romantique, pair de France, gloire du royaume. Mesurant la fragilité de la vie et du bonheur, l'écrivain mûrit très vite. Pendant plusieurs années, il s'abstient de toute publication. Il s'initie aussi au spiritisme et aux tables tournantes. Enfin, ce pilier de l'ordre monarchique et bourgeois se mue en héraut des humbles et de la République."

 

https://www.herodote.net/4_septembre_1843-evenement-18430...

 

 

Extrait du poème poème intitulé À Villequier,

 

Villequier étant le lieu de résidence des Hugo, dans les environs duquel le drame s'est produit.

 

L'extrait :

 

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,

Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;

Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste

Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !

 

Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive

Par votre volonté.

L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,

Roule à l'éternité.

 

Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;

L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.

L'homme subit le joug sans connaître les causes.

Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

 

Vous faites revenir toujours la solitude

Autour de tous ses pas.

Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude

Ni la joie ici-bas !

 

Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.

Rien ne lui fut donné dans ses rapides jours,

Pour qu'il en puisse faire une demeure, et dire :

C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !

 

Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;

Il vieillit sans soutiens.

Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ;

J'en conviens, j'en conviens !

 

Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie

Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;

L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,

Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.

 

Je sais que vous avez autre chose à faire

Que de nous plaindre tous,

Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,

Ne vous fait rien à vous !

 

Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue ;

Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;

Que la création est une grande roue,

Qui ne peut se pouvoir sans écraser quelqu'un ;

 

Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,

Passent sous le ciel bleu ;

Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ;

Je le sais, ô mon Dieu !

 

Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues,

Au fond de cet azur immobile et dormant,

Peut-être faites-vous des choses inconnues

Où la douleur de l'homme entre comme élément.

 

Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre

Que des êtres charmants

S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre

Des noirs événements.

 

Des destins ténébreux vont sous des bois immenses

Que rien ne déconcerte et qu rien n'attendrit.

Vous ne pouvez avoir de subites clémences

Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

 

Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,

Et de considérer

Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme,

Je viens vous adorer !

 

Victor Hugo, fin de l'extrait du poème À Villequier.