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02/12/2016

Une légende de Tite Live présentée par Jean Callens via son histoire de Buridan

"Lorsqu'il fut nommé recteur de l'Université de Paris, Jean Buridan n'avait que 28 ans. Il avait laissé sa ville natale, Béthune, pour "monter" à Paris. Non pas qu'il ait eu à souffrir de la justice expéditive de la comtesse Mahaut dont, à la nuit tombée, on racontait pis que pendre, mais déjà Paris attirait de partout une jeunesse éprise de savoir. Quelques grands noms y brillaient entre tous : Pierre Abélard, Robert de Sorbon, Albert le Grand, Roger Bacon, Thomas Becket, Bonaventure, Thomas d'Aquin. Fidèle commentateur d'Aristote et disciple de Guillaume d'Occam, Jean Buridan n'avait pas son pareil paraît-il pour enseigner la logique, la scolastique, la métaphysique, la philosophie naturelle et l'éthique. Le grand débat du moment tournait autour de la liberté humaine : l'homme est-il libre par rapport aux décisions qu'il prend ?  Bien que non publié dans ses Commentaires sur Aristote, le cours sur le libre arbitre, telle une légende, est resté dans toutes les mémoires.

 

Choisissez un âne,

un âne bien constitué,

un âne qui ait toute sa tête,

un âne que l'expérience de la vie a enrichi.

 

Amenez l'âne au milieu de la cour de

l'Université

et faites l'expérience suivante :

pendant un jour,

pendant deux jours peut-être,

pendant trois jours s'il le faut,

supprimez boisson et nourriture.

 

Laissez l'âne braire sa faim et sa soif

jusqu'au moment où vous déposerez simultanément

à sa droite, un boisseau d'avoine,

à sa gauche, un seau d'eau.

 

Etudiez attentivement la conduite de l'âne

il a faim et soiif

il a à boire et à manger

il ne mange ni ne boit

il est perplexe,

hésitant,

indécis,

immobile.

 

Mourra-t-il de faim et de soif ?

Est-il suffisamment âne

pour se laisser mourir

entre un seau d'eau

et un boisseau d'avoine ?

 

La faiblesse le contraint à se coucher

le regard larmoyant,

dans un état de prostration complet.

La mort prochaine le guette.

 

C'est le moment d'agir. Approchez-vous.

Dans votre main ouverte

offrez-lui un peu d'avoine.

Dans une large écuelle

Offrez-lui un peu d'eau.

L'âne a la vie sauve.

Grâce vous soit rendue.

 

Mais demain sera-t-il capable de liberté

Seul ?

 

L'âme des bestes humaines ne puet  morir,

et Dieu aime tant bestes humaines

qu'il lui a donné celle liberté.

 

Bercheure

Traduction de Tite Live

manuscrit français Bibl. Nat.

 

Buridan se serait servi de la légende de Tite Live comme exemple pour faire réfléchir ses élèves à la question du libre arbitre.

Les élèves de Buridan et de Tite Live qui avaient leur libre arbitre furent libres de ne pas suivre l'invitation des philosophes,  simulée et néanmoins sujette à caution sur le plan éthique,  à soumettre un âne à la faim pour se livrer ensuite à une expérience du libre arbitre sur sa personne. De nos jours cette expérience est justement qualifiée de maltraitance sur les animaux... mais à l'époque on est bien bon de finalement donner à boire et à manger à l'âne.

J'aime les ânes instinctivement quant à moi, sans connaître plus que ça ces animaux, n'en ayant pas dans "mon" patio. Mais je sais d'emblée que ces animaux laissés libres dans la nature, non asservis par l'homme se nourrissent naturellement tout seuls dès qu'ils sont assez costauds pour s'affranchir du lait de leur mère, comme tous les animaux dans un milieu naturel.  Cette légende serait donc plus pour moi le support d'une réflexion sur l'aliénation ; cela dit, si l'on n'est pas aliéné on a son libre arbitre ; en fait cette légende amène à  penser que lorsque l'on n'a pas ce fameux libre arbitre on est, à des niveaux de profondeur plus ou moins poussés, aliénés face à une nourriture de l'esprit que l'on ne veut pas prendre parce que l'autre ne nous y a pas autorisé : je ne prends ni les maths, ni la littérature parce que le professeur ne m'invite pas à y goûter, par exemple.

Une légende à encourager les autodidactes.  Mais prenons les maths, si je peux aller jusqu'à un certain niveau plutôt appréciable en arithmétique en y mettant un peu du mien, je ne peux aller au-delà sinon pour ce qui est de mon organisme se serait de la goinfrerie. En d'autres termes : respecter un état de chose "actuel" en terme de matière grise, si l'on se respecte soi-même, sans pour autant se considérer comme "mal constitué", ni "âne de Buridan qui refuse de se nourrir".  J'ai extrapolé, et cela fait du bien de temps à autre.

 

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