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31/10/2014

Deuxième extrait du bossu de Paul Féval

 "4. Largesses

 

Ce devait être un bossu de beaucoup d'esprit, malgré l'extravagance qu'il commettait en ce moment. Il avait l'œil vif et le nez aquilin. Son front se dessinait bien sous sa perruque grotesquement révoltée, et le sourire fin qui raillait autour de ses lèvres annonçait une malice d'enfer. Un vrai bossu !

 

Quant à la bosse elle-même, elle était riche, bien plantée au milieu du dos, et se relevant pour caresser la nuque. Par-devant, son menton touchait sa poitrine. Les jambes étaient bizarrement contournées, mais n'avaient point cette maigreur proverbiale qui est l'accompagnement obligé de la bosse.

 

Cette singulière créature portait un costume noir complet, de la plus rigoureuse décence, manchettes et jabots de mousseline plissée d'une éclatante blancheur. Tous les regards étaient fixés sur lui, et cela ne semblait point l'incommoder.

 

— Bravo ! sage Esope ! s'écria Chaverny : tu me parais un spéculateur hardi et adroit !

 

— Hardi, répéta Esope en le regardant fixement ; assez... Adroit, nous verrons bien !

 

Sa petite voix grinçait comme une crécelle d'enfant. Tout le monde répéta :

 

— Bravo, Esope ! bravo !

 

Cocardasse et Passepoil ne pouvaient plus s'étonner de rien. Leurs bras étaient tombés depuis longtemps ; mais le Gascon demanda tout bas :

 

— N'avons-nous jamais connu de bossu, mon bon ?

 

— Pas que je me souvienne.

 

— Vivadiou ! il me semble que j'ai vu ces yeux-là quelque part.

 

Gonzague aussi regardait le petit homme avec une remarquable attention.

 

— L'ami, dit-il, on paye comptant, vous savez ?

 

— Je sais, répondit Esope, car, à dater de ce moment, il n'avait plus d'autre nom.

 

Chaverny était son parrain.

 

Esope tira son portefeuille de sa poche et mit aux mains de Peyrolles soixante billets d'Etat de cinq cents livres. On s'attendait presque à voir ces papiers se transformer en feuilles sèches, tant l'apparition du petit homme avait été fantastique. Mais c'étaient de belles et bonnes cédules de la Compagnie.

 

— Mon reçu, dit-il.

 

Peyrolles lui donna son reçu. Esope le plia et le mit dans son portefeuille, à la place des billets. Puis, frappant sur le carnet :

 

— Bonne affaire ! dit-il. A vous revoir, messieurs !

 

Il salua bien poliment Gonzague et la compagnie. Tout le monde s'écarta pour le laisser passer.

On riait encore, mais je ne sais quel froid courait dans toutes les veines. Gonzague était pensif.

 

Peyrolles et ses gens commençaient à faire sortir les acheteurs, qui déjà eussent voulu être au lendemain. Les amis du prince regardaient encore, et machinalement, la porte par où le petit homme noir venait de disparaître.

 

— Messieurs, dit Gonzague, pendant qu'on va disposer la salle, je vous prie de me suivre dans mes appartements.

 

— Allons ! dit Cocardasse derrière la draperie, c'est le moment où jamais, marchons !

 

— J'ai peur, fit le timide Passepoil.

 

— Eh donc ! je passerai le premier.

 

Il prit Passepoil par la main, et s'avança vers Gonzague, chapeau bas.

 

— Parbleu ! s'écria  Chaverny  en les apercevant, mon cousin a voulu nous donner la comédie ! c'est la journée des mascarades. Le bossu n'était pas mal, mais voici bien la plus belle paire de coupe-jarrets que j'aie vus de ma vie !

 

Cocardasse junior le regarda de travers. Navailles, Oriol et consorts se mirent à tourner autour de nos deux amis en les considérant curieusement.

 

— Sois prudent ! murmura Passepoil à l'oreille du Gascon.

 

— Capédédiou ! fit ce dernier, ceux-ci n'ont donc jamais vu deux gentilshommes, qu'ils nous dévisagent ainsi !

 

— Le  grand est de toute beauté ! dit Navailles.

 

— Moi, repartit Oriol, j'aime mieux le petit.

 

— Il n'y a plus de niche à louer ; que viennent-ils faire ici ?

 

Heureusement qu'ils arrivaient auprès de Gonzague, qui les aperçut et tressaillit.

[...]

 

— Peyrolles ! appela Gonzague.

 

L'intendant venait de faire sortir le dernier adjudicataire.

 

— Reconnais-tu ces beaux garçons ? lui demanda Gonzague. Mène-les à l'office, qu'ils mangent et qu'ils boivent. Donne-leur à chacun un habit neuf, et qu'ils attendent mes ordres !

 

— Ah ! monseigneur ! s'écria Cocardasse.

 

— Généreux prince ! fit Passepoil.

 

— Allez ! ordonna Gonzague.

 

Ils s'éloignèrent à reculons, saluant à outrance et balayant la terre avec les vieilles plumes de leurs feutres. Quand ils arrivèrent en face des rieurs, Cocardasse le premier planta son feutre sur l'oreille, et releva du bout de sa rapière le bord frangé de son manteau. Frère Passepoil l'imita de son mieux . Tous deux, hautains, superbes, le nez au vent, le poing sur la hanche,  foudroyant les railleurs de leurs regards terribles, ils traversèrent la salle sur les pas de Peyrolles,  et gagnèrent l'office, où leur coup de fourchette étonna tous les serviteurs du prince."

 

page 121 à 123 Le bossu de Paul Féval 

 

La citation du jour, de François d'Assise, lue dans le blog Jubilate Déo

 

"Heureux le serviteur qui aimerait et respecterait autant son frère lorsqu'il est loin que lorsqu'il est avec lui et ne dirait pas derrière son frère ce qu'il ne pourrait, en toute charité, dire devant lui."

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 


 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

03:06 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

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