08/03/2014
suite du post précédent
À propos de la misanthropie un souvenir me revient qui illustre la complexité de la question. Un souvenir de Marie Anna, une religieuse dont je vais vous brosser en quelques mots le portrait physique : elle devait mesurer un mètre cinquante, était si fine que, si on ne la mettait pas à côté d'une grande, elle ne paraissait pas petite pour la fillette que j'étais à l'époque, dont le père disait qu'il fallait lui mettre des boulets aux pieds pour l'amarrer par temps de grand vent. Elle portait un voile noir sur la tête, et sous ce voile, un tissu blanc enserrait le front. Pas un cheveu ne dépassait ; vu sa peau très claire, elle était probablement blonde ou châtain. Sa longue jupe noire s'arrêtait à deux bons centimètres au-dessus des chevilles, comme pour mieux mettre en valeur, ses grosses chaussures noires à gros bouts ronds qui donnaient, à force d'être mastoc, l'impression que Marie Anna avait chaussé des auto-tamponneuses trop grandes de deux pointures... pas d'effet boulets pour autant, Marie Anna gardait une démarche à marcher sur les eaux, même des charentaises n'auraient rien pu faire contre cette impression de belle légèreté, c'est un fait. Cette religieuse professait aux fillettes que l'homme avait un bon fond, même le plus méchant serait sauvé, après s'être réconcilié disait-elle, avec lui-même, ce fond de lui porté naturellement à la bonté. C'était cela la bonne nouvelle de Jésus affirmait-elle le ton enjoué, en dépit même de sa passion sur la croix, et peut-être, grâce à cette passion qui sauvait l'humanité de ses démons et rendait l'homme à sa bonté naturelle. Fin du petit prêche quotidien de Marie Anna.
Des bémols pourtant, notamment lorsqu'elle surveillait la cour de récréation ; il arrivait que Marie Anna pleure en voyant les filles se bagarrer "comme des chiffonnières" (expression bête qui stigmatise le métier soi dit en passant). Cela ne se produisait pas tous les jours, mais chaque fois la déprime la prenait et elle se lamentait, "Des filles élevées dans la parole de Jésus, qu'est-ce que cela serait à l'école laïque, mon Dieu !" Et quelle déprime profonde à ce moment-là ! Puis il fallait prier toutes ensemble. Pendant la prière quelques filles, pas du tout à ce qu'elles faisaient, pouvaient se lancer de méchantes œillades voire des menaces de représailles.
Dans la vie il faut un peu d'agressivité pour survivre, j'ai mis un peu de mal à le réaliser ensuite, prier tout seul, en soi, se connecter à sa façon à elle, n'est pas donné à tout le monde.
D'aucuns ne savent pas doser l'agressivité ou en sont tellement submergés qu'elle leur est impossible à gérer. Les fillettes n'ont pas de problèmes de testostérones... Marie Anna parmi des garçons s'en serait peut-être sortie pareillement, les garçons radoucis parce que charmés par exemple, presque comme des filles à cet âge. Au bout du compte, elle la tenait sa classe, cette philanthrope, dont la misanthropie s'évanouissait dans la prière.
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