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17/07/2013

Fac pelagus me scire probes, quo carbasa laxo.

"JEUX MARINS - ÎLE SAINT-PIERRE

 

 

 

 

 

«  Muse, aide-moi à montrer que je connais la mer sur laquelle je déploie mes voiles. »

 

 

C’est ce que disait, il y a six cents ans, Guillaume le Breton, mon compatriote. Rendu à la mer, je recommençai à contempler ses solitudes ; mais à travers le monde idéal de mes rêveries, m’apparaissaient, moniteurs sévères, la France et les événements réels. Ma retraite pendant le jour, lorsque je voulais éviter les passagers, était la hune du grand mât ; j’y montais lestement aux applaudissements des matelots. Je m’y asseyais dominant les vagues.

L’espace tendu d’un double azur avait l’air d’une toile préparée pour recevoir les futures créations d’un grand peintre. La couleur des eaux était pareille à celle du verre liquide. De longues et hautes ondulations ouvraient dans leurs ravines, des échappées de vue sur les déserts de l’Océan : ces vacillants paysages rendaient sensible à mes yeux la comparaison que fait l’Ecriture de la terre chancelante devant le Seigneur, comme un homme ivre. Quelquefois , on eût dit l’espace étroit et borné, faute d’un point de saillie ; mais si une vague venait à lever la tête, un flot à se courber en imitation d’une côte lointaine, un escadron de chiens de mer à passer à l’horizon, alors se présentait une échelle de mesure. L’étendue se révélait, surtout lorsqu’une brume, rampant à la surface pélagienne, semblait accroître l’immensité même.

Descendu de l’aire du mât comme autrefois du nid de mon saule, toujours réduit à mon existence solitaire, je soupais d’un biscuit de vaisseau, d’un peu de sucre et d’un citron ; ensuite, je me couchais, ou sur le tillac dans mon manteau, ou sous le pont dans mon cadre : je n’avais qu’à déployer le bras pour atteindre de mon lit à mon cercueil.

Le vent nous força d’anordir et nous accostâmes le banc* de Terre-Neuve. Quelques glaces flottantes rôdaient au milieu d’une bruine froide et pâle.

Les hommes du trident ont des jeux qui leur viennent de leurs devanciers : quand on passe la Ligne, il faut se résoudre à recevoir le baptême : même cérémonie sous le Tropique, même cérémonie sur le banc de Terre-Neuve, et quel que soit le lieu, le chef de la mascarade est toujours le bonhomme Tropique."

Suite de l’extrait des Mémoires d'Outre-tombe de Chateaubriand, tout à l’heure.

*banc de Terre-Neuve : ou grand Banc, haut fond de sable au large de Terre-Neuve, bien connu des morutiers.

05:46 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

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