19/02/2013
Léon Deubel et Aristide Bruant
Léon Deubel
(1879-1913). Né à Belfort. Un recueil : "Régner" (1913), a suffi à sauver son nom de l’oubli. Pourtant, lorsque ce poète se suicida pour échapper à une misère tenace, il laissait d’autres livres non moins dignes de survivre : "Léliancolies" (1910), "La Lumière Natale" (1905) et d’envoûtantes "Lettres d’Italie". Source : Pierre Seghers - Le livre d’or de la poésie
Seigneur ! Je suis sans pain, sans rêve et sans demeure.
Les hommes m’ont chassé parce que je suis nu.
Et ces frères en vous ne m’ont pas reconnu
Parce que je suis pâle et parce que je pleure.
Je les aime pourtant comme c’était écrit
Et j’ai connu par eux que la vie est amère.
Puisqu’il n’est pas de femme qui veuille être ma mère
Et qu’il n’est pas de cœur qui entende mes cris.
Je sens, autour de moi, que les bruits sont calmés.
Que les hommes sont las de leur fête éternelle.
Il est bien vrai qu’ils sont sourds à ceux qui appellent
Seigneur ! Pardonnez-moi s’ils ne m’ont pas aimé !
Seigneur ! J’étais sans rêve et voici que la lune
Ascende le ciel clair comme une route haute.
Je sens que son baiser m’est une pentecôte,
Et j’ai mené ma peine aux confins de sa dune.
Mais j’ai bien faim de pain, Seigneur ! Et de baisers,
Un grand besoin d’amour me tourmente et m’obsède,
Et sur mon banc de pierre rude se succèdent
Les fantômes de Celles qui l’auraient apaisé.
Le vol de l’heure émigre en des infinis sombres,
Le ciel plane, un pas se lève dans le silence,
L’aube indique les fûts dans la forêt de l’ombre,
Et c’est la Vie énorme encor qui recommence !
Voici maintenant le poème d'Aristide Bruant, intitulé Lézard, un état d'esprit très différent, autre ambiance :
Lézard
On prend des magnièr’ à quinze ans,
Pis on grandit sans
Qu’on les perde :
Ainsi, moi, j’aim’ ben roupiller,
J’ peux pas travailler,
Ça m’emmerde.
. . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
J’en foutrai jamai’ eun’ secousse,
Mêm’ pas dans la rousse,
Ni dans rien.
Pendant que l’soir ej’ fais ma frape,
Ma sœur fait la r’tape,
Et c’est bien :
Alle a pus d’ daron, pus d’ daronne,
Alle a plus personne,
Alle a qu’ moi.
Au lieu d’ sout’nir ses père et mère,
A soutient son frère,
Et pis, quoi ?
Son maquet, c’est mon camarade :
I’ veut ben que j’fade
Avec eux.
Aussi j’ l’aime mon beau-frère Ernesse,
Il est à la r’dresse,
Pour nous deux.
Ej’ m’occup’ jamais du ménage,
Ej’ j’suis libe, ej’ nage
Au dehors,
Ej’ vas sous les sapins, aux Buttes,
Là, j’allong’ mes flûtes,
Et j’ m’endors.
. . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . .
On prend des magnièr’ à quinze ans,
Pis on grandit sans
Qu’on les perde :
Ainsi, moi, j’aim’ ben roupiller,
J’ peux pas travailler,
Ça m’emmerde.
11:00 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
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