04/05/2012
Mise au point d'Odette
Odette sentait confusément qu’ils n’avaient rien à perdre et fit le point de la situation. Les souvenirs de Louradie où ils avaient laissé leur maison en piteux état lui ôtaient tout envie de retourner là-bas. Les événements se précipitaient en ce 26ème siècle, que de changements en peu de temps ! en quelques mois, des cloisonnements entre les régions du pays s’étaient constitués on ne sait trop par quels processus et empêchaient l’information de circuler normalement, il s’agissait plutôt de rumeurs et de contre-rumeurs, démentis qui à leur tour apportaient leur lot d’incertitudes. En Louradie déjà il avait fallu partir faute de médecins, ici on trouvait pléthore de gens qualifiés en toute discipline mais les choses s’étaient configurées de façon tellement bizarre qu‘il valait mieux se trouver « du bon côté de la barrière », être considéré comme gueux vous ôtait d’emblée tout espoir de logement mais que dire du sort de l’étranger isolé et en mauvaise santé à en croire Jeudi. Divers signes avant-coureurs dont notamment celui du cavalier, confortaient sa confiance envers un Jeudi qui pouvait éventuellement mentir mais accessoirement. Nul doute pensait Odette qu‘ils auraient été en grand danger s’ils n’avaient pas fait cette rencontre providentielle avec l’homme de réseau qu‘il était. Eux qui avaient des allures de vagabonds à force de toilette hâtives aux divers points d’eau trouvés en chemin. En zone grise déjà, les instituts de soin s’étaient en grand nombre métamorphosés en petits foyers d’accueils ordinaires, mais ici on avait passé la mesure, d’après Jeudi, l’intolérance des habitants était à son comble et leur salut, elle en était assurée, viendrait pourtant de ce lieu où une géopolitique tortueuse offrait des échappatoires. Elle regarda Peter, en train d’écouter tranquillement un homme de petite taille et aux grandes mains, un être surprenant, qui lorsqu’ils l’avaient rencontré en chemin brandissait sur son énorme poing, sa fille Janon qui s‘y tenait tranquillement assise comme sur un siège. Jeudi avait salué ce qui semblait être une vieille connaissance. Ce petit homme dont le nom était Janin rassurait en ce moment Peter à propos des chiens ; contrairement à Jeudi il avait deviné que son fils nourrissait, en plus d’autres phobies qu‘il partageait ou non avec ses parents, une grande peur des canidés, et venait juste de comprendre ce que signifiait le mot -loup-. Odette replongea dans ses pensées. Que de progrès ce Peter avait-il fait depuis leur départ ! bien qu’il ait gardé longtemps ses fâcheuses habitudes avant que son état ne s’améliore de cette façon. Ses habits étaient reprisés à maints endroits, ses cheveux encore en broussaille, et sa barbe mal rasée ; les quelques « gueux » aperçus dans la zone verte, du fait de leur bonne santé, présentaient mieux que lui, eux se rendaient aux douches municipales, et recevaient aussi des soins élémentaires, d’après les renseignements fournis de Jeudi. On les reconnaissait à ce qu’ils étaient toujours accompagnés d’un chien, en plus de leur mine lasse, résignée, et à l’attitude étrange qu’ils adoptaient vis-à-vis de leur animal. Ils se comportaient avec leur bête comme les grand-mères d’autrefois avec leurs chats ou leur caniches, c’était étrange de la part de marginaux pauvres dont on aurait attendu plus de rugosité envers leur compagnon à quatre pattes, ou plus de tendresse virile, ou encore, les manifestations de cette atavique volonté de dominer, propre à beaucoup d’hommes, qu’ils auraient reporté sur leur bête. Au lieu de cela ils avaient plutôt tendance à gâtifier dès qu'ils communicaient avec leur animal, à l’instar des hommes repus de confort que l’on rencontre ordinairement dans les salles d’attente des cabinets vétérinaires. Les propos de Jeudi avaient été suffisamment explicites, ici les chiens cautionnaient leur maître ; grâce à eux ceux qu’on appelait les gueux entretenaient quelques contacts avec les autochtones et recevaient diverses miettes appréciables. Ainsi le sort de ces personnes était-il suspendu à celui de leur chien pensa Odette. De source sûre, les vétérinaires soignaient en effet toutes les bêtes gratuitement, et au passage pouvaient éventuellement faire profiter d’autres êtres de la pharmacopée dont ils disposaient librement. Jeudi avait précisé que les maîtres-chiens étaient nombreux dans cette petite ville, parmi eux on comptait essentiellement les fils de ceux qui avaient été chasseurs de génération en génération depuis la première réintroduction des canidés au 21ème siècle, jusqu’au 25ème siècle où il n’y avait plus un seul loup à tuer parmi ces bois successifs entrecoupés de lacs et de terrains rocheux qui constituaient la zone verte.
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