27/02/2011
Le reportage imaginaire
Être dans le coup pour ces trois jeunes étudiants de Dorbeaux entichés de mode était une question essentielle. C’était au tour de l’étudiante non Dorbelaise de faire le ménage dans ce logement fraîchement loué, les autres allaient arriver incessamment sous peu, et la juger, elle l’avait compris, sur ses aptitudes à intégrer leur petit groupe de colocataires, ensuite ils décideraient si elle pouvait ou non garder la chambre que par ailleurs elle avait déjà payée, tout cela sous l’œil des caméras, car la petite troupe de nouveaux arrivants dans la ville de Paris faisait le sujet d’un reportage.
Désirée, en mal de reconnaissance, avait eu le temps de cuisiner un peu, mais pas de nettoyer ensuite les ustensiles comme prévu, ni le carrelage de la cuisine. Lorsqu’ils débarquèrent, accompagnés d’une petite amie mannequin et de toute l’équipe de tournage, ils prirent immédiatement des mines dubitatives et inspectèrent effectivement les lieux ; attitude significative que Désirée avait pressentie. Cette mise en scène dans le seul but de justifier leur rejet et son renvoi la déprima, mais elle gardait un petit sourire effronté. Selon eux, elle était prise sur le fait : incompétence notoire, indéniable, à tenir correctement une maison. Ces trois jeunes très au top ne pouvaient plus supporter la présence d’une femme perçue par les voisins comme une Livoise… du simple commun des mortels, sans rien, aucun titre, statut, ou lien de parenté flatteur pour alléger son cas, et étaient arrivés sciemment en avance dans le but de la mettre en difficulté, bien décidés à la remplacer au plus vite par une personne plus neutre, moins compromettante aux yeux des dandys. Pourtant, l’étudiante, ayant payé son loyer, ils n’avaient de légitimité pour la dissuader de rester, que le nombre, c’est-à-dire aucune. Faire en sorte que Désirée, sous la pression des jugements négatifs du groupe concernant ses aptitudes à faire le ménage, c’est-à-dire pour eux, à s’intégrer, se sente obligée de quitter les lieux, là était leur solution.
Désirée se demanda, alors que les doléances n’en finissaient pas, sortant à la fois des quatre bouches, ou à la suite, entrecoupées de soupirs exaspérés, si le film à succès, antipromotionnel de Elny Boul’, concernant la région qu’elle venait de quitter pouvait retourner à ce point les esprits. N’étaient-ils pas informés de son origine Livoise avant qu’elle ait payé sa part de loyer ? Leur attitude était-elle d’autant plus stéréotypée qu’une caméra les filmait ? Hypothèses bien difficile à admettre malgré le contexte qui décidément s’y prêtait : des affiches insultantes concernant la ville de Lives ne se multipliaient-elles pas ces temps-ci, comme des pâquerettes au printemps, sur les murs de Paris ? Mais tout ceci était tellement absurde, sans fondement pour la jeune femme !
Arnaud, l’un des quatre, au paroxysme de ce qui ressemblait à de la rage contenue qui aurait peu à peu monté face à une Désirée mutique, en plein déni et ne comprenant toujours pas qu’il lui fallait donner son congé pour la fin du mois ou du trimestre au plus tard, profita d’un gros plan sur lui pour sortir ; faisant mine d’espérer se calmer un peu, il alla cueillir des roses au seul rosier du jardinet jouxtant la petite maison. Il revint ensuite vers les autres, les yeux comme morts mais un grand sourire aux lèvres et offrit de façon ostensible, le bouquet de fleurs au mannequin russe qui les reçut en continuant son discours peu élogieux sur Désirée "… Oui tu es bien jolie Désirée, mais le ménage, hm, hm, laisse un peu à désirer."
Désirée se laissa-t-elle déloger aussi facilement ? Que devint-elle ? Le reportage la planta là.
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