31/03/2009
Extrait
… « Pour le XVIIIe siècle et a fortiori le suivant, la civilisation apportée aux peuples de la nature ne peut se diffuser entre gens illettrés : l’écriture lui est indispensable. L’écrit est la marque constitutive des sociétés historiques, celles qui font l’histoire et que les historiens doivent écrire, surtout depuis qu’ils sont devenus les professionnels d’une vraie science. « Sans écriture », les peuples non civilisés devaient être reconnus comme étant « sans histoire », les Lumières l’avaient découvert, le XIXe siècle allait en faire une certitude. À peine née, la « science historique » ne pouvait douter que son objet propre était d’analyser les documents écrits, archives et témoignages transmis par l’écriture. L’histoire avait pour tâche d’étudier et de connaître les sociétés civilisées dont les états anciens étaient lisibles en leurs signes écrits. Aujourd’hui encore, dans les partages disciplinaires de nations devenues simples provinces de l’Europe fédérée, il y a des sociétés « pour ethnologues » et d’autres pour « historiens », lesquels sont toujours dix ou quinze fois plus nombreux et puissants que les anthropologues auxquels les ministères de l’Éducation dite nationale abandonnent généreusement la gestion dite intellectuelle de quelque six mille cultures sur les six mille cinq cents connues.
Entre histoire et anthropologie, quelle a été, quelle est la place des Grecs ? Ils font partie des peuples anciens, mais des sociétés également dites archaïques depuis Lewis Morgan qui comparait les « formes de la famille » entre les tribus indiennes et grecques ou germaniques et polynésiennes. Classer les Grecs d’Homère et de Platon parmi « les peuples non civilisés » allait vite devenir scandaleux pour ne pas dire impensable. Entre Winckelmann, le redécouvreur des Antiques à la fin du XVIIIe siècle, et les romantiques allemands, la littérature et la philosophie grecques sont au cœur de ce que veut dire civilisation. Comment alors imaginer un projet comme une « anthropologie comparée de la Grèce ancienne » ? Nous atteignons le point le plus sensible d’une approche comparative. »
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Les Grecs et nous de Marcel Detienne, collection tempus des Éditions Perrin
Pour en savoir plus sur les Éditions Perrin : http://www.editions-perrin.fr/main.php
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