18/01/2008
Société
« La vie n’est plus dans la rue mais dans les appartements, on se confine et on utilise la rue, uniquement comme lieu de passage, les lieux de socialisations pour les enfants et les ados disparaissent au profit de parking, où la voiture dévore l’espace. Les hommes et les pères ont disparu de la place publique depuis bien longtemps, laissant la rue aux jeunes qui vont structurer l’espace autrement et développer le concept de territoire. Les nouveaux modes de communications (portable, internet , cable, etc.) modifient les codes en vigueur et la relation à l’autre.
Malgré cela, une néoculture que l’on a appelé culture de banlieue fait son apparition et nous assistons également depuis une dizaine d’années à la réémergence du concept d’ethnicité lié pour beaucoup à la manière dont les adolescents se catégorisent entre eux, les Arabes, les Blancs, les Noirs, les Juifs ; mais les parlers des adolescents font également référence au comportements sociaux comme les « bouffons », les « sans amis », les « blédars », les « fils à papa », « les chauds », les « canailles », les « cailleras », la « gadji ».
Ces identités plurielles dans les classes populaires s’associent souvent dans les quartiers concernés à l’affaiblissement et à la mélancolisation du lien social consécutif à l’individualisation et l’individualisme marqueurs d’une société de consommation poussée à l’extrême, d’une modification des systèmes familiaux, avec une nécessité de recomposition du lien social qui modifie le rapport à l’autre et font émerger des solidarités mécaniques communautaires (clan, tribu). Les groupes se constituent souvent autour d’affinités sociales, religieuses, ludiques, hédonistes, délictueuses formant une socialité temporaire et des liens communicationnels de type néo-tribalique pour maintenir une économie psychique et éviter un effondrement narcissique.
Ma pratique clinique prend place dans la zone nord dans le 15e arrondissement de Marseille où tous les indicateurs socio-économiques sont au rouge et où la vie culturelle est portée par les nombreuses associations (pas pour longtemps) qui assurent une interface entre les différentes communautés et les différents types de familles.
La consultation de pédopsychiatrie se situe sur un secteur précarisé et peuplé de populations issues d’immigration récente ou plus ancienne et se nourrit d’histoire, d’historicité, d’anecdotes mais aussi de drames humains parfois douloureux. Au travers des enfants ou des adolescents que nous rencontrons, l’histoire de ces parents s’inscrit en filigrane et nous révèle les difficultés d’inscription sociale de cette descendance qui ne maîtrise pas toujours les tenants et les aboutissants de cette histoire source de souffrances psychologiques où parfois de pathologies psychiatriques.
Les sciences sociales ont souvent évoqué le thème du déracinement pour expliquer le mal-être et les difficultés d’adaptation de la première génération puis certaines explications culturalistes ont été avancées comme la double culture pour donner un sens aux difficultés d’intégration de la deuxième génération.
La dite « troisième génération » se heurte également aujourd’hui aux mêmes stigmates mais dont la source serait entre autres d’ordre religieux. Les faits socio-économiques, les éléments de contexte immédiat de vie comme l’habitat, les expériences plus ou moins précoces et intenses du racisme, l’absence de mixité sociale dans la cité où dans l’école, le chômage ambiant chez les jeunes et les parents sont autant d’éléments qui restent peu utilisés pour nous éclairer sur la construction identitaire de cette jeunesse qui a du mal à se faire une place au soleil. »
A.S.A.H
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