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12/08/2014

Le récit débutait

Des enfants, l'œil intéressé et candide, assis sur des coussins, tête levée vers le conteur, l'écoutaient attentivement. Il trônait sur une chaise de bois vieux et usé à la patine du temps, et moi,  venant d'arriver je pris au vol ces propos d'un récit qui, sûrement, débutait :

.... vraiment c'était chose singulière disait le conteur — qui me salua d'un bref sourire et d'un clignement d'yeux sans interrompre son récit  — tous les habitants de cet endroit que d'aucuns nommaient le centre du monde, eh bien, cette équipe de savants, comme par magie, à l'aide d'une poudre qui n'était pas de Perlimpinpin, leur avait momentanément ôté la mémoire en préservant les capacités intellectuelles d'autre part. Un moment je dois dire, qui devait se compter en mois et constituer un temps où se passeraient des choses étranges. La première, celle que le monde des savants s'attendait à voir se produire, eut lieu en effet et ce fut... à votre avis les enfants ?

— ...

 le dépôt d'armes ! reprit le conteur. Les chefs des deux armées de belligérants, ayant oublié le motif  de la guerre, ordonnèrent un cessez-le-feu immédiat !  Les populations, de leurs côtés, obtempérèrent sur le champ  par la force des choses, tous étant pris de malaises divers et il se fit un grand silence dans les villes que les bombardements successifs avaient quasi détruites. Même les bébés avaient pour quelques heures cessé de réclamer leur lait à ce qu'il semblait. Enfin, des gens éberlués, civils qui auparavant se cachaient comme ils pouvaient, sortirent de leur maison, se tâtant leur propre visage pour la plupart, se frottant les yeux pour les uns, qu'ils écarquillaient ensuite sous l'effet de la stupeur. Bientôt un murmure confus se leva dans les rues où militaires des deux camps et civils se mélangeaient dans une sorte de cohue où les uns et les autres se dévisageaient avec horreur, personne ne se reconnaissant plus :  

"que se passe-t-il ? Vous aussi ? Vous non plus ? Quel jour  sommes nous ? ... Sommes nous ? Je ne sais plus...  qui je suis !"

C'est un peu le genre de propos qu'on entendait partout et il se produisit bientôt un tintamarre où se mêlaient des cris de panique.

Un hurlement de douleur s'éleva qu'autour on écouta, médusé, car c'était un hurlement qui se prolongea en paroles criées  :

"Punition !  Ô Pitié ! personne ne sait ce qu'il fait dans cette ville frappée d'oubli ! Pitié ! Que quelqu'un ici nous rappelle qui est qui, ne serait-ce que pour comprendre quelque chose à toute cette destruction ... ces murs éventrés de partout !"

Parmi la population, un couple de jeunes gens seul, se taisait résolument, autrement émus. Les deux seuls spécimen à qui les savants n'avaient pas donné une poudre qui n'était pas de Perlimpinpin ... ces deux-là, les savants les avaient surnommés Roméo et Juliette !

Le conteur, à son tour étreint par une émotion que son propre récit lui prodiguait, toussota devant les enfants qui clignaient des yeux d'un air complice : "Roméo et Juliette !" murmurèrent-ils. "Ah oui, dit l'un, les amoureux, comme stéphan et Lélia dans ma classe de CE 2, ce conte veut dire que si on trouve un copain ou  une copine avec de l'amour et tout, les savants  nous donneraient pas leur poudre, ils en ont juste marre des bagarres ...." 

—  Il faudrait d'abord que vous sachiez, pour mieux comprendre, que Roméo et Juliette appartenaient chacun à des camps opposés, ils étaient l'un et l'autre de familles de haut rang, selon les codes d'alors, qui se bagarraient tout le temps à mort.

— Ouais ! dit un enfant, mi perplexe,  mi goguenard, à son voisin, c'est comme si t'aimais la fille de celui qu'a fauché la moto de ton père l'an passé.

— Un peu plus de profondeur les enfants !  le conteur trépigna d'agacement sur sa chaise qui couina à son tour,  il s'agit pour ces deux populations d'affects plus profonds que cela,  liés au territoire, sacré, pour les uns et pour les autres...

Je reprendrai demain ce récit, je vois que le nouvel arrivé voudrait s'entretenir avec moi. "Le nouvel arrivé", c'était moi, déguisée en monsieur à moustache à l'occasion d'une fête costumée qui se donnait aux alentours.